Des ponts trop loin

Détruit pendant la guerre de 1993, le vieux pont de Mostar a été reconstruit en 2004.

Une vie en double

Mostar compte une bonne vingtaine de ponts, de belles rives de part et d’autre de la Neretva, et de nombreuses institutions culturelles. Idéalement située à la sortie des gorges qui relient la région à Sarajevo, au pied de belles montagnes, la ville baigne dans le soleil de ce début d’été. Le centre historique a été reconstruit après la guerre de 1993, autour du « Stari Most », le vieux pont d’où sautent des plongeurs pour quelques marks bosniens. Les touristes y affluent et il y a de jolies cartes postales « I Love Mostar » à chaque échoppe de la vieille ville. Pourtant, Mostar est coupé en deux. « On nous a raconte que certains habitants n’avaient jamais traversé le pont, de toute leur vie » témoigne un jeune garçon, dans la vieille ville. À l’ouest, les Croates, et à l’est les Bosniaques : la ligne de front de 1993 qui longeait la rivière Neretva n’a pas disparu. Tout, dans Mosar, existe en double : deux hôpitaux, deux clubs de foot, deux compagnies d’électricité, deux systèmes éducatifs… Pour ses quelque 80 000 habitants, la ville compte quatre théâtres ! À chacun des deux côtés sa scène dramatique et son théâtre de marionnettes : un luxe bien au-dessus des finances de la ville.

Elvedin Nezirovic dirige depuis trois ans le Centre Pavarotti de Mostar.

Elvedin Nezirovic dirige depuis trois ans le Centre Pavarotti de Mostar, un lieu dédié à la musique et à son enseignement.

 

Chacun chez soi

« C’est stupide d’avoir tout en double, à l’est et à l’ouest. On a besoin de plus d’argent que les États-Unis pour faire fonctionner notre ville, et on n’y arrive pas ! » explique Elvedin Nezirovic, directeur du Centre Pavarotti, un lieu dédié la culture et à la formation musicale. Il déplore le peu de moyens alloués aux projets mixtes, qui oeuvrent à rassembler les populations.

« Il y a beaucoup d’argent qui part pour des projets assez inutiles. Devant le Centre Pavarotti, vous pouvez voir des travaux de voiries, en ce moment. Or on avait déjà des trottoirs corrects ! La ville en refait d’autres, neufs, alors que beaucoup d’édifices sont toujours en ruine et que de multiples projets fédérateurs manquent de fonds pour voir le jour ! »

 

Elvedin Nezirovic dirige depuis 2011 ce centre culturel qui essaie, en créant de petits ensemble de musique classique ou des groupes de rocks, de rassembler les habitants, au-delà de leur nationalité. « Ça déplait forcément ! La culture permet d’unir les gens, or ici les politiciens ne veulent pas de ce rassemblement. Dans leur tête, il faut absolument rester séparés. » À Mostar, le chômage et le clientélisme n’arrangent rien : « Si vous êtes bosniaque et que vous voulez un bon poste dans une entreprise dont le directeur est croate, vous n’aurez aucune chance. La réciproque est bien sûr vraie », affirme encore Elvedin Nezirovic.

Cette stèle commémorait les soldats bosniaques tués au combat à Mostar. Elle se trouve dans la partie ouest de la ville, majoritairement croate. Elle a été détruite à l'explosif en 2013.

Cette stèle commémorait les soldats bosniaques tués au combat à Mostar. Elle se trouve dans la partie ouest de la ville, majoritairement croate. Elle a été détruite à l’explosif en 2013.

 

Une jeunesse ouverte

Dans la cour du Centre Abrasevic, une partie de la jeunesse de Mostar se retrouve autour d’un verre ou d’une projection de film, une fois la nuit tombée. Ce centre culturel fut détruit pendant la guerre et reconstruit il y a une vingtaine d’années, sur la rive ouest. Depuis un an, Vladimir Coric en est le jeune directeur. « Nous montons des expos, des concerts pour les jeunes de Mostar et peu nous importent les nationalités de chacun ». Le centre emploie douze salariés et travaille avec une vingtaine de bénévoles. « Nous essayons de créer des ponts dans les esprits pour enfin relier les deux parties de la ville », explique Vladimir. D’ici quelques temps, le Centre Abrasevic devrait ouvrir une auberge de jeunesse, pour accueillir davantage de visiteurs. « Pour des jeunes de passage à Mostar, il n’est pas toujours évident de se rendre compte de ce qui se passe ici », nous confie Vladimir.

En effet, selon le guide qui vous accompagne dans la ville, et selon la rive, c’est une toute autre histoire qui est racontée. Ici comme dans tous les Balkans, il n’existe pas une version commune des faits, mais une rude concurrence des mémoires entre voisins. En 2013, dans le quartier croate, la stèle à la mémoire des combattants bosniaques victimes de la guerre, a été détruite à l’explosif. « Nous devons nous sentir tous comme les citoyens de la ville, et non penser en ethnie ou nationalité ! » déplore Elvedin Nezirovic, du Centre Pavarotti.

Ranka Mutevelic (à droite) est la directrice du théâtre jeune public de la rive est de Mostar. Au mur, la seule marionnette à avoir échappé à la destruction du théâtre pendant la guerre de 1993.

Ranka Mutevelic (à droite) est la directrice du théâtre jeune public de la rive est de Mostar. Au mur, la seule marionnette à avoir échappé à la destruction du théâtre pendant la guerre de 1993.

Qui tire les ficelles à Mostar ?

Ranka Mutevelic est la directrice du théâtre de marionnettes de la rive est, au-dessus de la vieille ville bosniaque. Elle veille depuis plus de dix ans sur la collection du théâtre, installé depuis 1952 dans l’ancienne synagogue de Mostar. En 1993, le théâtre fut détruit et une seule figurine survécut au désastre. Elle se trouve aujourd’hui dans le bureau de la directrice. Ranka Mutevelic regrette qu’il n’y ait pas eu de fusion entre les deux théâtres pour le jeune public de la ville, ce qui permettrait de grandes créations, des équipes plus efficaces et des moyens plus importants. Pourtant, les deux structures étaient d’accord pour s’unir :

« En 2008, un représentant de l’Union européenne est venu à Mostar. Il a interrogé les deux théâtres et a négocié avec chacun de nous pour que nous fusionnions en une seule institution. Nous pensions qu’il était primordial de mutualiser nos moyens. Le représentant de l’UE a rédigé un protocole qu’il a envoyé au maire de Mostar. Cela fait six ans que nous n’avons aucune nouvelle. C’est un réel problème politique qui divise la ville ; les habitants voudraient vivre ensemble, et normalement, mais les politiques attisent les haines. »

 

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Un symbole à faire vivre

Entre les murs de l’ancienne synagogue, le metteur en scène bulgare Todor Valov s’active devant la compagnie permanente du théâtre. Il y est en résidence et monte Un cœur de pierre, une pièce du répertoire allemand. À la pause, il nous rejoint à côté de la scène où gisent les marionnettes, soudain inanimées. « La ville est divisée en raison de problèmes identitaires mais je sais que les théâtres ont des relations entre eux », explique-t-il.

« Les directeurs sont attentifs aux premières qui se donnent respectivement des deux côtés, et ils s’y déplacent. Le symbole de cette ville est le vieux pont qui fut détruit en 1993. À présent reconstruit, il devrait peut-être enfin rassembler les habitants de Mostar. C’est à ça que doit servir la culture et le théâtre : à rassembler les gens au-delà des identités », conclut Todor Valov.

Juin 25 2014

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