La Bulgarie est un des pays de passage les plus empruntés pour les réfugiés clandestins qui espèrent gagner l’Europe. En 2012, la Grèce a renforcé ses dispositifs sécuritaires aux frontières, ce qui a reporté les flux migratoires vers le sud de la Bulgarie. Harmanli est le plus grand des sept centres d’accueil de migrants clandestins du pays. En juin 2014, environ mille personnes y attendent leur statut de réfugiés. 94% d’entre eux sont des Syriens qui ont fui la guerre civile.
Au début, des tentes
Dépassé par le nombre d’arrivants illégaux, la Bulgarie ouvrait en octobre 2013 le centre d’accueil de migrants d’Harmanli, sur un ancien terrain militaire. Avec près de 4 000 places disponibles au besoin, Harmanli est le plus grand « centre d’accueil et d’enregistrement » de migrants illégaux de Bulgarie. Au début, Harmanli n’avait que des tentes, pas d’eau ni de nourriture suffisante et aucune équipe pour assurer la sécurité. « Les premiers réfugiés arrivés à l’automne dernier n’ont pas du tout été enregistrés. Ils attendaient là simplement, sans qu’aucune procédure n’ait pu être lancée, faute de moyens » explique Lydia Staikova, volontaire de l’ONG Les Amis des réfugiés.
Il aura fallu des équipes de journalistes pour attirer l’attention sur Harmanli et obliger les autorités à améliorer les conditions d’accueil des migrants. En juillet 2014, les pelleteuses s’activent pour finir de construire la cantine et la buanderie, et des logements pour 400 places supplémentaires afin de loger de nouveaux arrivants en cas d’urgence. « Selon les périodes, le nombre de réfugiés fluctue, entre 1 700 et 2 000 personnes. Depuis l’ouverture en octobre dernier, 3 000 réfugiés sont passés ici » annonce Marko Petrov, directeur de ce centre d’accueil de migrants.
La vie dans le centre
Pour le millier de personnes (dont 214 femmes et 317 enfants), les journées sont longues à Harmanli. Les enfants cherchent un ballon pour jouer au football. Il y en a bien un mais il est déjà utilisé par une vingtaine d’adolescents. Un arrivage de colis humanitaires fait leur bonheur : des cahiers, des livres, des jouets, des crayons et même des chocolats. Dans chaque chambre, des traces de ces trésors disséminés. Les enfants retrouvent les petits plaisirs quotidiens : dessiner, jouer, prendre un goûter.
« Les rations quotidiennes du centre ne suffisent pas. On a reçu pour ce midi deux galettes de pain et deux pommes pour ma femme, mon fils de 3 ans et moi » nous explique un jeune père de famille réfugié de Syrie, en nous montrant le maigre repas. Chaque réfugié reçoit du gouvernement bulgare 65 leva mensuels par personne (environ 32 euros). Les repas sont assurés par l’administration du camp puis sont distribués par des réfugiés volontaires. « Au début, Harmanli était vraiment une catastrophe humanitaire. Peu à peu ça va mieux même s’il y a encore beaucoup de problèmes. Par exemple, c’est une mauvaise idée de solliciter l’aide des migrants pour les repas car certains en profitent pour se venger et ne pas distribuer de nourriture à d’autres. Il y a des pressions, des vengeances et des règlements de compte, comme partout » explique Lydia Staikova, volontaire présente depuis l’ouverture du camp et qui a vu les conditions d’accueil changer.
« L’organisation permet de tenir »
Basel Halil Diko a 28 ans. Il est kurde et faisait des études en ingénierie à Alep quand la guerre a commencé. Un jour, sa maison a explosé sous les bombes alors qu’il était en cours. Depuis, il n’a plus aucune nouvelle de ses parents et de son frère. Ce jour-là, pris par la peur, il a quitté le pays, en franchissant tout d’abord la frontières turque puis celle de Bulgarie. « Le passage d’une frontière coûte au minimum 200 dollars par personne. Il faut marcher plusieurs heures. On a aussi dû traverser une rivière à 3 heures du matin. J’ai pris deux enfants du convoi dans mes bras ; j’avais très peur du courant et des animaux sauvages », se rappelle Basel.
Arrêté de nuit, en pleine forêt, par des policiers avec quinze autres réfugiés clandestins, il arrive à Harmanli en avril 2014. « Le plus dur ici c’est l’ennui. Il faut s’organiser sinon tu deviens fou. Comme tu n’as pas de papiers, tu ne peux pas travailler. Moi j’ai un programme précis pour chaque jour, toujours le même, ça m’aide à tenir. » Tous les après-midi, Basel est dans sa salle de classe. Il est le professeur d’allemand (improvisé) du centre. Ses élèves sont de jeunes adultes, rêvant de l’Allemagne comme lieu d’exil. Basel décuple d’énergie et les fait répéter du vocabulaire à haute voix. Certains ont pris leur cahier pour noter, d’autres déchiffrent encore difficilement l’alphabet latin. « Parfois, à la fin du cours, l’un ou l’autre me donne 5 leva ou à manger. Je mets de côté pour m’acheter un billet d’avion pour l’Allemagne ! » explique le jeune professeur.
Choisir sa langue
À côté de la classe d’allemand de Basel, il y a les cours d’anglais de Khalil, eux aussi bien remplis. Ancien ingénieur pour les lignes à hautes tensions, Khalil Mohamed a 43 ans et quatre enfants. Comme Basel, Khalil est kurde. Depuis une vingtaine de jours, il est arrivé à Harmanli avec sa famille. Son père est encore en Syrie, sa mère serait en Turquie. « Quand je suis arrivé et que les autres réfugiés ont su que je parlais anglais, ils m’ont demandé tout de suite si je ne voulais pas donner des cours. J’ai accepté. Que faire d’autre ici ? » Tous les jours de la semaine, pendant une heure et demi, il oublie un peu sa nouvelle vie de migrant.
De son côté, le Haut Comité aux Réfugiés organise (et paie) depuis mars 2014 des cours de bulgare pour les réfugiés du centre d’Harmanli. Mais les classes sont vides et les professeurs attendent en vain l’arrivée d’élèves. « Nous ne voulons pas rester ici, nous voulons tous aller en Angleterre ou en Allemagne, alors pourquoi apprendre le bulgare ? » explique un jeune migrant qui erre dans un des grands couloirs du centre.
L’homme de loi
Il y a aussi Imad Rachid, avocat kurde d’Alep de 38 ans, qui a dû quitter la Syrie avec ses deux fils et sa femme. Il parle français car il prenait des cours de langues en Syrie ; la guerre a interrompu ses leçons, mais il a retrouvé une méthode d’apprentissage qui ne le quitte pas. Il ne parle pas encore assez bien pour former ses camarades mais s’entraîne quotidiennement. Depuis deux mois, il vit dans quinze mètres carré avec sa famille. « Je militais pour la paix en Syrie. J’ai été mis en prison parce que j’osais m’interposer. Notre Constitution a été rédigée en prenant l’exemple de celle de la France, elle est excellente, mais on ne me permettait pas de faire respecter la Loi. »
En sortant du centre d’Harmanli et nous accompagnant à l’extérieur, dans la ville, pour une soirée, Imad ose parler de Bachar Al Assad. « Lors du premier mois de manifestations, on a cru qu’il pourrait être bien remplacé. Mais bien vite on a compris qu’il était bon pour nous, les Kurdes. Bachar comme son père avant lui pendant des décennies nous ont toujours protégés. » À Harmanli, il peut être dangereux de parler politique. De retour au centre, Imad se tait. Selon lui, des combattants islamistes auraient réussi à se faire passer pour des réfugiés une fois arrivés au camp, et à gagner l’Allemagne ces derniers mois. Une information impossible à vérifier.
Des cas isolés
Et il y a aussi tous ces jeunes garçons, souvent mineurs, arrivés seuls ou avec un cousin ou un frère. Certains voisins retrouvés ici leur ont annoncé que leurs parents étaient morts. En réalité, ils n’en savent rien ; ils n’ont plus de nouvelles de leur famille depuis des mois. Selon eux, s’ils ont réussi à quitter le pays c’est parce qu’ils étaient jeunes, en bonne condition physique et seuls. Mohamed Almasalma a 20 ans. Il vient de Daraa. Le 27 juin 2014 est un grand jour pour lui : il a enfin réussi à obtenir le statut de réfugié qu’il attendait depuis sept mois. On peut dire qu’il est un « ancien » du camp : il est à Harmanli depuis l’ouverture du centre, à l’automne 2013, et a connu la vie sous tente et sans sanitaires, les premiers temps. « Je suis un Arabe de Syrie ; ça a moins la cote ici. C’est peut-être pour ça que j’ai reçu un passeport de trois ans et non de cinq ans comme presque tous les Kurdes réfugiés. »
Les passeports de trois ans ne permettent pas de voyager librement en Europe, mais Mohammed aura le droit de vivre et de travailler en Bulgarie. Beaucoup de réfugiés qui n’obtiennent qu’un sursis de trois ans tenteront de passer illégalement en Allemagne, au Royaume-Uni ou au Danemark. Ceux dont les dossiers ont été rejetés par Sofia peuvent faire appel. En cas de nouveau rejet, ils seront conduits en centre de détention, avant un retour au-delà de la frontière européenne.