À 60 km de Cracovie se trouve l’un des plus grands lieux touristiques de Pologne : l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau où près d’un million de personnes furent assassinées par les nazis. En 2013, plus d’un million de visiteurs s’y sont rendus. L’entretien des ruines du site de 200 hectares coûte des millions d’euros chaque année. Un défi immense pour l’équipe du musée d’Auschwitz qui tente de préserver les lieux pour la mémoire.
Conserver Auschwitz
À leur départ, les nazis ont dynamité les chambres à gaz et ont tenté de faire disparaître leur usine de mise à mort de centaines de milliers de personnes. Dès juillet 1947, le musée d’Auschwitz ouvre ses portes grâce à la volonté du gouvernement polonais. Mais les baraques, construites à la va-vite, en bois à Birkenau et en briques dans le camp de concentration, n’étaient pas faites pour durer. Tous les murs s’effritent, les toits s’effondrent. Avec les mauvaises conditions météorologiques, le site risque de disparaître. La nature reprend ses droits et les animaux peuplent à nouveau les marécages de Birkenau. Pourtant, le lieu va garder, au fil des décennies, le même aspect. Ce qui a été dynamité, restera des gravats. Les baraques fatiguées, quant à elles, seront encore debout soixante-dix ans après. Une équipe nombreuse et professionnelle en assure la préservation « en l’état » depuis près de sept décennies. Auschwitz reste le symbole de la barbarie nazie et de l’industrialisation de la mise à mort qu’ils ont imaginée à travers « la Solution finale ».
Le coût de la mémoire
Pour faire face aux immenses dépenses liées à la conservation des lieux, Donald Tusk, premier ministre polonais, lance, en 2000, un appel à la communauté internationale. Cent millions d’euros vont être récoltés grâce à plus de vingt-huit pays. Ils serviront à entretenir les 155 bâtiments, les plus de 300 vestiges et ruines, mais aussi les 2 tonnes de cheveux et les 80 000 chaussures précieusement conservées dans la baraque n°5. Le musée court sur plus de 200 hectares (couvrant les sites d’Auschwitz I et Auschwitz II) et c’est bien son immensité qui fait prendre conscience de l’entreprise industrielle de mise à mort. Près d’un million de personnes ont été exterminées ici.
Andrzej Kacorzyk est vice-directeur du musée d’Auschwitz. Il explique pourquoi consacrer tant d’énergie, de savoir-faire et d’argent à préserver ces traces :
« C’est la masse qui fait sens, donc préserver 80 000 chaussures plutôt que 200 permet de faire comprendre la taille de cette extermination. Nous ne voulons rien refaire, restaurer ou reconstruire. Nous voulons juste préserver. Nous refusons de créer de l’artificiel. Si une chaussure est pliée, salie ou déchirée, nous laissons la pliure, la saleté et la déchirure, mais nous entretenons le cuir et la semelle. »
La terre se tasse sous les pas des milliers de visiteurs
Les défis sont multiples pour la conservation d’un tel lieu, surtout quand il est visité chaque année par plus d’un million de personnes. Involontairement, en marchant sur le parquet d’origine des baraques, en frottant leur vêtement et leurs sacs à dos sur les murs, les visiteurs abîment les lieux. Certaines baraques sont fermées au grand public et ne sont visibles que par de petits groupes d’études. Cela permet de limiter les dégâts et de préserver les lieux dans leur état originel. Certains endroits qui ne sont pas accessibles du tout pour des raisons éthiques : on sait qu’il y a des parcelles de terre où se trouvent encore de nombreuses cendres.
Parfois aussi, les visiteurs laissent une trace de leur passage en gravant leur nom dans le bois d’un châlit ou dans une brique du mur de la baraque. Cela oblige l’équipe à une grande vigilance. Quelquefois, ces inscriptions peuvent aussi être antisémites ou négationnistes : il faut agir vite pour les enlever. La direction ne veut pas trop s’étendre sur ces problèmes, qui restent « rares et marginaux ».
Et il y a aussi les dégradations morales. De nombreux visiteurs, lors de la période estivale, se transforment en véritables touristes et oublient qu’ils se trouvent dans un ancien camp de concentration et d’extermination. Les selfies devant les barbelés ou sous la fameuse inscription du portique « Arbeit macht frei » sont légions. Et même si les photographies sont interdites dans la chambre à gaz du camp I, au crématoire et au Block XI, cela n’effraie pas certains qui bravent les interdits. Les visites guidées n’étant pas obligatoires, nombre de visiteurs déambulent dans les lieux, seuls, et oublient d’observer quelques règles de bienséance.
« Nous ne voulons stigmatiser personne, nous explique un guide qui travaille depuis plus de 30 ans au mémorial. Mais il est clair qu’en été, le comportement de beaucoup de visiteurs change. C’est sans doute une question de préparation et de motivation : pourquoi fait-on ce voyage ? Les guides essaient d’expliquer qu’il n’est pas forcément intéressant de se photographier soi-même à Auschwitz. En revanche, photographier le lieu, bien sûr, permet de conserver un souvenir ou un document du camp ».
Un souvenir original
Si dans les années 1960 des fouilles archéologiques ont été menées, il arrive parfois que des objets en métal (cuillers, gamelles, couteaux, etc.) refassent surface, au printemps, après la fonte des neiges ou après de fortes pluies. Chaque année, de nouvelles pièces viennent agrandir la « collection » du musée. Au mois de mars et d’avril, certains visiteurs sont tentés de ramasser un « souvenir » de leur visite du camp. C’est sans compter les nombreuses caméras disséminées sur le site et la vigilance des gardiens.
Pawel Sawicki travaille depuis quelques années au musée. Ancien journaliste, il a décidé de rejoindre le service de presse du mémorial. Il est particulièrement au courant des affaires qui ont faire grand bruit dans les journaux. Il se souvient de deux vols qui avaient défrayé la chronique.
« Une femme a un jour été arrêtée par un garde alors qu’elle voulait sortir du camp avec, en sa possession, plusieurs objets qu’elle avait ramassés par terre. Elle les avait dissimulés dans son sac. Elle a finalement été arrêtée par la police et est passée devant la procureur. »
Le plus célèbre vol qu’ait connu le camp étant celui de l’inscription en fer « Arbeit macht frei », en décembre 2009. Ce cambriolage à ciel ouvert avait surpris le monde entier. Cette célèbre enseigne incarnait le cynisme des nazis face aux déportés qui ne seraient libres qu’en travaillant (et en mourant à la tâche). Pawel reconnaît que « personne n’avait jamais imaginé le vol de ce symbole. Les voleurs ont découpé en morceaux l’inscription, l’ont déboulonnée et sont partis avec. Ils sont aujourd’hui en prison. Nous avons fait une copie de cette enseigne et l’original est maintenant exposée dans une salle du musée. »
En dix ans, le nombre de visiteurs au mémorial d’Auschwitz a triplé, imposant par là aux conservateurs du site de nouvelles contraintes et de nouveaux défis.